Dans "les valeurs comme voie vers l'excellence", nous évoquions le mois dernier l'apparition d'un nouveau mode de management, davantage centré sur les valeurs que sur les règles.
Vous avez été nombreux à réagir à cet article en mentionnant le plus souvent qu' indépendamment de votre volonté manifeste ou de celle de votre entreprise de fédérer autour de valeurs ou d'une culture commune, vous vous heurtiez régulièrement à une forte opposition de la part de vos collaborateurs.
Cette levée de boucliers plus ou moins officielle semblait même se manifester dès lors que vous tentiez de donner un caractère concret à votre démarche d'acculturation. Le tout sur le mode bien entendu fort peu confortable du "tiens, voila la dernière trouvaille inventée par la RH " ou du "mais tu penses qu'ils s'y sont mis à combien pour nous pondre cette énième version de nos valeurs?"...
Manque d'implication? Résistance au changement?
C’est qu’il faut absolument distinguer 2 types de valeurs qui n’ont rien de commun: les valeurs "cosmétiques" et les valeurs "opérationnelles".
Prenons l'exemple de formulations des plus classiques, tout aussi fréquentes que fourre-tout , comme "Esprit d’équipe" ou "Focus Client", lesquelles sont déclinées dans la plupart des entreprises.
Ainsi présentées, ces valeurs n'évoquent au mieux que des propositions que chaque collaborateur, selon ses sensibilités et son vécu, traduira dans des termes et une direction différente.
Au pire, elles renvoient même davantage dans l'esprit de beaucoup à 2 injonctions, "fonctionnez en équipe" et "œuvrez toujours avec un esprit client", qui permettront surtout au management de "masquer par des grandes théories totalement déconnectées du quotidien le manque réel de moyens pour performer".
Ces "valeurs cosmétiques", non partagées, se finissent donc le plus souvent en "flyers" que le collaborateur le plus "obéissant" aura positionné sur son bureau sans en avoir nécessairement identifié la portée.
Les valeurs "opérationnelles", elles, traduisent en gestes et attitudes ce que les valeurs "cosmétiques" se contentent de déclarer.
En somme elles indiquent, par exemple, au commercial comme à l'opérationnel du back-office, comment décliner concrètement dans leurs univers respectifs les enjeux pourtant communs d’"Esprit d’équipe" ou de " Focus Client". Elles décrivent ainsi très précisément en quoi le commercial qui valide très en amont les conditions de paiement les plus adaptées pour son client, facilite le travail ultérieur des back-offices et donc in fine la qualité de la prestation globale. Inversement l'opérationnel de back-office intègre de son côté pourquoi son délai de réaction à toute demande venant du réseau s'avère déterminant dans la satisfaction de leur client final.
Cette démarche d'appropriation des valeurs par la pratique est typique d'une approche dite "mixte". Dans ce travail d'acculturation, l'impulsion initiale est certes donnée par le CODIR ou la RH mais chaque département, service ou métier a toute latitude pour la décliner puis la formaliser en compétences (savoir, savoir-faire, savoir-être) selon ses réalités métiers.
Étonnamment, la plupart des entreprises continuent pourtant de lui préférer une attitude plutôt "top-down" dans laquelle le CODIR et la RH décident et les opérationnels sont censés appliquer...
Attention toutefois car fonctionner en mode "mixte" n'est pas la panacée! Traduire les valeurs en comportements associés suppose en effet de respecter quelques principes fondamentaux,
Parmi ceux-ci, pour cascader (démultiplier) les valeurs, le choix d' "ambassadeurs de valeurs", leaders incontestables et exemplaires devra parfois s'orienter vers des opérationnels sans positionnement hiérarchique.... et ce pour trois raisons.
Primo, compte tenu de la défiance de principe de nombreux collaborateur vis-à-vis de toute démarche hiérarchique, défiance liée à ce fameux effet SCUD déjà évoqué le mois dernier (inhibition du collaborateur face à une sanction potentielle de son manager) qui risquerait d'empêcher le collaborateur de dévoiler sa véritable pratique
Deuxio, car l'opérationnel demeure par essence le plus à même de brosser ses comportements et donc de donner une traduction concrète aux valeurs qu'il devra ensuite épouser.
Tertio, car le fait que certains managers ne sont pas toujours exemplaires concernant les valeurs que l'entreprise souhaite précisément véhiculer...n'aide pas vraiment à leur appropriation! En particulier durant cette période charnière où les collaborateurs, hésitant encore à s'impliquer, sont donc bien plus attentifs aux managers dont les comportements sont contraires aux valeurs qu'à ceux qui les incarnent déjà...
Autre principe que l'approche "mixte" doit s'employer à favoriser: cette ambition de tous les ambassadeurs de d'abord valoriser, donc au sens propre "donner de la valeur à l'existant", avant éventuellement de demander aux collaborateurs de formuler des nouveaux comportements voire d'inscrire dans le marbre les interdits à bannir.
Autrement dit les ambassadeurs doivent amener les collaborateurs à formaliser leur best practices, à expliciter quels comportements actuels sont déjà en adéquation par exemple avec les valeurs "Customer focus" ou "Team Spirit", avant éventuellement de leur demander "ce qu'il leur faudrait faire différemment?" ou "ce qu'ils devrait arrêter de faire".
Comment en effet le collaborateur pourrait-il d'emblée décrire un comportement idéal ni connu ni pratiqué? Pourquoi oserait-il dévoiler sa véritable pratique s’il percevait rapidement déjà le risque qu'elle ne soit pas valorisée ou pire encore qu'elle se transforme en interdit?
Autant de peurs, comme des moyens de se débarrasser, dont nous aurons l'occasion de reparler.
Stéphane FLAHAUT et toute l'équipe MANEGERE